John Gray et ses théories psychologiques

Auteur : Mathilde Lescieux

Je suis tombée par hasard sur le livre de John Gray dans une librairie, interloquée par le titre, ainsi que par sa popularité, je décide de lire la 4ème de couverture. Se présentant comme un guide pratique pour apporter la paix au sein du couple, et étant passionnée par les livres de psychologie; je décide d’en faire l’acquisition. Mon enthousiasme et ma motivation furent rapidement effacés, j’explique ici mes réticences et questionnements.

John Gray est né le 28 décembre 1951 à Houston. C’est un essayiste américain qui écrit des livres de développement personnel. Il a 3 filles, et s’est marié 2 fois, il a épousé sa dernière femme en 2010 et la cite régulièrement dans ses livres. Il est connu pour être thérapeute familial et particulièrement de couple.  Il se fera connaître grâce à son best-seller sorti en 1992 « Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus ». Il écrira plusieurs livres suivant le même schéma: Mars et Vénus sous la couette , Mars et Vénus : petits miracles au quotidien , Mars et Vénus se rencontrent , Mars et Vénus ensemble pour toujours : prolonger le désir et enrichir l’amour , Mars et Vénus : 365 jours d’amour en couple

Il recevra son doctorat de psychologie en 1997 à la Columbia Pacific University, mais son diplôme ne sera plus reconnu la même année car la CPU était une faculté qui délivrait des titres universitaires contre de l’argent. Il possède également un site internet, où il y vend ses ouvrages, des compléments alimentaires et des formations. Il popularise à travers ces nombreux ouvrages sa théorie de la différence sexuelle:

Les hommes et les femmes sont, de par leur histoire, fondamentalement différents, et n’auraient pas la même façon de s’exprimer dans les aspects du quotidien, même les plus minimes. En les analysant et en les décryptant, nous pourrions transformer ces différences en atout, et de ce fait, se compléter et retrouver à nouveau de l’harmonie au sein de notre couple.

Son livre « Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus », devenu en 1992 un best-seller, est une synthèse de toutes les thérapies de couple que John Gray a pu réaliser, et les conclusions qu’il a pu en tirer. Son analogie est tiré de Mars, comme le dieu romain de la guerre et de la fertilité, et de Vénus, comme la déesse romaine de l’amour et de la beauté.

L’analogie est aussi bien sûr tiré des planètes du même nom pour imager les différences entre les hommes et les femmes, venant donc de deux planètes différentes. Mais les deux sexes étant différents mais intrinsèquement liés, la communication en couple peut parfois se brouiller. Pour passer au-dessus des non-dits et des incompréhensions, Gray propose une série de conseils pour décoder et désamorcer les conflits conjugaux.

Plusieurs points sont à nuancer dans « Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus »

Sa théorie caricature complètement les comportements féminins et masculins en perpétuant des stéréotypes de genre. Nous pouvons le voir à la couverture de l’édition « J’ai lu » : la tête de l’homme est remplie de voitures, tandis que la tête de la femme est remplie de bébé, de fleurs et de petite fille câlinant un doudou.

Également, si on prend en compte l’homosexualité, toute sa théorie est remise en question. Si nous nous calquons sur sa théorie, nous pourrions alors aisément dire que les couples homosexuels ont une parfaite compréhension de l’un et de l’autre, puisqu’ils parleraient « la même langue ». En plus de se placer dans une position binaire et complètement hétérocentrée, John Gray se place aussi d’un point de vue essentialiste, en prétendant que les différences sont biologiques, sans prendre en compte les différences entre les attentes sociales et les différences d’éducation que peuvent rencontrer les hommes et les femmes.

Par exemple, nous aurons tendance pendant notre enfance, à entendre si nous sommes un petit garçon « ne pleure pas », « sois un homme », « tu te bats comme une fille » (à noter ici que « comme une fille » est donc vu de manière péjorative), tandis que si nous sommes une petite fille, on n’aura tendance à mettre l’accent sur l’apprentissage de la douceur, de l’écoute de l’autre, l’empathie, à prendre soin de soiCette vision ne laisse aucune place au changement des mœurs et des codes d’une société.

C’est ce qu’a voulu démontrer Deborah Cameron, avec son livre « The myth of Mars and Venus : Do Men and Women Really Speak Different Languages? », selon elle, les différences entre homme et femme seraient dues aux attentes sociales. Le point de vue essentialiste de l’auteur renferme les hommes et les femmes dans des cases presque plausibles.

Grâce à l’évolution de la pensée et de la science, nous arrivons maintenant à comprendre d’où viennent les différences hommes et femmes, et surtout, si elles existent vraiment. La plupart des recherches tendent à démontrer que les différences seraient surtout acquises, c’est-à-dire apprises au cours de notre vie, et non innées, ancrées dans nos gênes. La théorie du genre permet aussi d’expliquer que ces différences sont déclenchées par les stéréotypes de genre, et qu’elles n’ont rien de biologique.

Comme le montre la neurobiologiste Catherine Vidal, qui a réfuté pas mal des expériences qui affirmaient que le cerveau était sexué, autrement dit, différent si l’on est biologiquement un homme ou une femme. Elle a prouvé que les femmes n’utilisaient pas plus leurs deux hémisphères que les hommes, et que les femmes n’étaient pas plus mauvaises que les hommes en mathématiques, ou qu’elles n’étaient pas multitâche, ou d’autres clichés perpétués, et ce, même à travers la science.

Quoi d’autre pourrait-on faire dans son temps libre, sauf lire ? Peut-être apprendre à préparer des crêpes? Si tu veux en savoir plus sur ce plat savoureux, tu n’as qu’à suivre le lien vers cet article !

Bien que John Gray a accompagné plusieurs couples au cours de ses thérapies, ceci ne représente pas un échantillon significatif, et ne peut être assez divers (nationalité, niveau de richesse, catégorie socio-culturelles…) pour appuyer ses arguments et ses recherches. Ses thérapies ont sans doute aidé bons nombres de couple, mais ce n’est pas suffisant pour classer ses recherches comme pertinentes; les patients peuvent facilement se convaincre de l’efficacité de ses propos, et avoir donc un résultat positif, c’est ce que l’on appelle l’effet placebo (le patient se persuade de l’efficacité de la thérapie/soins médicaux, et va donc se mettre dans des conditions favorables de guérison).

Certaines choses qu’il explique sont sûrement reconnaissables sur un certain ensemble de personnes, de par l’éducation que l’on reçoit, mais en faire des généralités n’est pas intéressant et pertinent. La façon de procéder de John Gray me rappelle vaguement celle des tests de psychologie que l’on peut trouver par milliers sur internet, ainsi que celle des horoscopes. Il flatte bêtement l’égo des deux sexes en les définissant de manière générique, de manière à ce que chacun puisse aisément s’y reconnaître et trouver des réponses faciles.

Gray ne laisse pas la possibilité de se remettre en question

Gray ne laisse pas la possibilité de se remettre en question; on doit surtout s’adapter et excuser les comportements de l’autre. C’est une bonne chose d’accepter l’autre tel qu’il est, mais est-on obligé d’accepter les comportements négatifs, néfastes, voire parfois toxiques, sous prétexte que l’autre est différent? Il ne s’agit pas dans son livre de rendre la communication plus fluide, mais de faire taire ses propres envies ou de faire taire celle de l’autre. Également, si nous appliquons ses conseils à la lettre, il est sûr que nous tirerions des conclusions hâtives sur ce que notre conjoint ressent, plutôt que de le lui demander ou de le laisser s’exprimer clairement.

Ce livre affirme que l’homme et la femme viennent d’une autre planète, rendant la communication impossible sans une aide extérieure, sans un puissant entremetteur, qui aurait tout compris à comment fonctionne les hommes et les femmes. Gray se propose, à partir de sa place d’homme et à travers son regard d’homme, d’expliquer comment pense les femmes, comment réagissent-elles, et pourquoi le font-elles.

èEn plus d’avoir une démarche assez prétentieuse et arrogante, ça ne laisse aucune place à la parole des femmes. C’est donc totalement réducteur de ramener les différences entre les individus au sexe, et c’est insuffisant pour expliquer toute la complexité de compréhension entre deux êtres humains en couple mais en plus John Gray ne semble pas avoir pris en compte le point de vue féminin.

Les intentions de John Gray ne sont peut-être pas mauvaises, et peut-être croit-il en ce qu’il dit, ou peut-être que c’est une démarche malintentionnée et cupide. Ce qui est sûr, c’est que l’auteur a trouvé la bonne recette, et s’est empressé de la décliner en plusieurs autres « guides pratiques ». Mais c’est aussi certain qu’il essaie de rendre son idéologie scientifique alors qu’il n’utilise pas correctement les méthodes scientifiques et ne cherche jamais à réfuter ses propres hypothèses. Tout ça en se basant sur des concepts qui sont dépassés; ce qui n’est pas propre moralement, surtout quand on a autant d’influence.

On peut admettre à l’heure actuelle qu’il existe des différences entre le genre féminin et masculin, de par l’éducation et les attentes sociétales, qui peuvent expliquer que les femmes seraient plus enclines à montrer leurs émotions, tandis que les hommes, interdit de pleurer depuis leur enfance, auront tendance à intérioriser. Gray ne cherche pas à améliorer les comportements, mais à s’y adapter, pour mieux accepter l’autre. Il revient à chacun de se positionner sur le sujet.

Sources:

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