Publié en 1975, l’œuvre W ou le souvenir d’enfance de Georges Perec présente, par l’alternance du récit autobiographique et du récit fictionnel, l’influence du monde réel sur l’imagination et les expériences de l’auteur à l’âge de l’enfance. Tout au long de cet ouvrage, les plans de la réalité et de l’imagination fusionnent, en formant un nouvel univers, loin de l’utopie. Derrière les simples apparences de la dystopie placée sur l’île W, on peut identifier des similitudes avec le régime totalitaire naziste et on peut deviner quels sont les traumas qui ont laissé des traces sur l’inconscient de l’enfant.
Introduction à l’île W : une société merveilleuse ou effrayante?
Imaginée par l’auteur quand il avait treize ans, l’histoire de W ou le souvenir d’enfance décrit une île avec un accès difficile, où l’harmonie et l’équilibre sont toujours présents, de sorte que les hiérarchies sont bien établies, l’organisation interne est impeccable, et la politique est bien conçue. La société isolée qui vit ici adopte l’idéal olympique comme mode de vivre, car les habitants veulent être toujours sous le signe de l’Olympie, symbole de la force physique, de la vigueur et de l’équilibre psychique.
Tous ces aspects donnent l’impression que W ou le souvenir d’enfance dépeint un paradis, un monde bucolique auquel on aspire toujours. Toutefois, en analysant plus attentivement les descriptions de l’île, on peut observer qu’elles deviennent de plus en plus dégradantes à tel point que W s’avère être en fait une dystopie. On déduit d’ailleurs que derrière l’apparente perfection de cet univers se cache la cruauté, l’absurde, l’humiliation, et l’inégalité entre les hommes. W ou le souvenir d’enfance W ou le souvenir d’enfance W ou le souvenir d’enfance W ou le souvenir d’enfance W ou le souvenir d’enfance
Une histoire imaginaire née du tragisme de la réalité
L’alternance de l’histoire de l’île et du récit biographique de l’auteur n’est pas fortuite parce que la fresque de la dystopie de W ou le souvenir d’enfance est en réalité un miroir narratif de l’idéologie naziste qui a donné naissance à un univers concentrationnaire que Perec a connu, d’une certaine façon. Voyant sa famille juive être détruite par le régime politique, l’enfant Perec a été certainement marqué au niveau conscient et inconscient.
Sans se rendre compte que plus tard, l’île que l’auteur a imaginée pendant son enfance emprunte les traits du totalitarisme dans lequel il a vécu. En analysant attentivement, on peut remarquer des similitudes très claires entre les façons dans lesquelles les camps nazistes de concentration fonctionnent et les lois qui gouvernent dans l’univers dystopique de W.
Le refus de l’identité : du nom aux signes distinctifs
Un premier exemple qui atteste que la dystopie de l’île est inspirée par le régime naziste est représenté par le fait qu’on nie l’identité d’autrui par réfuter son nom et par lui attribuer juste un signe distinctif. Dans l’un des passages essentiels du livre, on décrit exactement la manque du nom des habitants et la différentiation injuste fait entre les membres de la société :
« Les novices n’ont pas de noms. On les appelle “novice”. On les reconnaît à ce qu’ils n’ont pas de W sur le dos de leurs survêtements, mais un large triangle d’étoffe blanche, cousu la pointe en bas »[1]
En lisant ce fragment, on remarque sans doute l’existence d’une ressemblance de ce qui se passe sur l’île avec la discrimination fait contre les juifs qui devraient porter sur leurs vêtements l’étoile de David. Tout comme dans le cas des juifs dont l’identité a été niée à cause de leur race considérée comme impure, les novices de W sont réfutés à cause de leur manque d’expérience.
La hiérarchie sociale qu’on ne peut jamais surmonter
Un autre exemple important qui indique le fait que l’univers de W est une dystopie inspirée de la réalité est représenté par l’inégalité des hommes et l’impossibilité de dépasser les barrières injustes mises entre les gens. Dans ce cas, ce qui a marqué l’enfant peut toujours être identifié dans l’inégalité imposée par le régime naziste entre les ariens et les juifs.
En transposant cette idée dans l’univers imaginaire, on constate que sur cette île animée par l’idéal olympique, les compétitions sportives organisées ont toujours les mêmes gagneurs et les mêmes perdants. Alors il y a toujours les mêmes personnes privilégiées et les mêmes personnes déconsidérées. Un autre fragment essentiel du livre illustre exactement le fait que ceux qui ont perdu une première fois sont condamnés toujours à l’échec, ce qui accentue l’idée de la discrimination trouvée dans la société :
« Plus les vainqueurs sont fêtés, plus les vaincus sont punis, comme si le bonheur des uns était l’exact envers du malheur des autres »[2]
Mais qu’est-ce qui se cache derrière W ou le souvenir d’enfance, en fait?
Certainement, les traumas que l’auteur a vécu sont projetés sur l’utopie inverse identifiée dans le cas de cet univers imaginaire. Pour comprendre mieux ce qui a influencé la création de ce monde, on doit se rendre compte que la perte des parents a constitué l’événement le plus tragique de la vie de Perec et c’est celui-ci qui se cache derrière W ou le souvenir d’enfance.
En ce qui concerne l’absence des noms dans ce monde imaginé, on peut dire que, possiblement, la source inconsciente de cette idée est représentée par le fait que l’auteur n’a jamais eu accès à la vraie identité de ses parents:
« En faisant ses recherches généalogiques, Perec découvre que son père se nomme Isie, lui qu’il a toujours cru s’appeler André […] tandis que sa mère Cyrla Schulevitz, [est] devenue Cécile »[3] – on peut supposer que le petit enfant a pressenti toujours la manque de la vraie identité de sa famille proche, ce qui a donné sur W un abandon total au nom et une dépersonnalisation profonde de chaque individu.
De plus, un autre événement qui a influencé l’auteur-enfant pendant son processus de création de cette dystopie est représenté par la disparition de sa mère de sa vie. Étant dépourvu de la présence de son père à cause de sa mort dans la guerre, la perte même de la figure maternelle, envoyée dans un camp de concentration, marque l’instauration du statut d’orphelin.
En fait, toutes ces idées sont suggérées par le nom attribué à l’île imaginaire car le W est toujours un M retourné, donc on peut affirmer que cela peut être vu comme une image de sa relation détruite avec sa mère. Sans se rendre compte, l’enfant met derrière l’image de la dystopie de W l’espace atroce réel où ses deux parents ont trouvé leur fin.
Bibliographie :
- Conte Imbert, David, « Mémoire et utopie dans W ou le souvenir d’enfance », in Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses, no. 16, 2001, pp. 139-150.
- Hamaide, Eléonore, « W ou le souvenir d’enfance de Perec : une autobiographie athlétique entre signe de vie et symbole de mort », in L’image de l’athlétisme et des sports à travers la littérature, Thessalonique, Édition du Laboratoire de Littérature Comparée, 2005, pp. 403-417.
- Perec, Georges, W ou le souvenir d’enfance (1975), Paris, Éditions Gallimard, coll. « L’imaginaire », 2017.
- [1] Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance (1975), Paris, Éditions Gallimard, coll. « L’imaginaire », 2017, p. 99.
- [2] Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance (1975), p. 110.
- [3] Eléonore Hamaide, « W ou le souvenir d’enfance de Perec : une autobiographie athlétique entre signe de vie et symbole de mort », L’image de l’athlétisme et des sports à travers la littérature, Thessalonique, Édition du Laboratoire de Littérature Comparée, 2005, p. 409.